« L’arbitrage sportif ne doit pas être imperméable aux exigences du droit européen » (Neil Robertson)

News Tank Sport - Paris - Analyse n°389972 - Publié le
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Neil Robertson, avocat associé au sein du cabinet Bignon Lebray - ©  D.R.

« Dans un contexte où le sport est devenu un enjeu économique et juridique majeur, il est essentiel que l’arbitrage sportif ne soit pas imperméable aux exigences du droit européen et aux principes fondamentaux de la justice », déclare Neil Robertson Partner @ Bignon Lebray • Director @ CA Brive (CAB)
, avocat associé au sein du cabinet Bignon Lebray, le 28/02/2025.

« Les sentences du Tribunal arbitral du Sport doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle complet par les juridictions nationales afin de vérifier la compatibilité des règles de la FIFA Fédération Internationale de Football Association avec le droit de l’Union européenne (UE Union européenne ) », indiquait en effet Tamara Capeta (CRO), avocate générale de la Cour de justice de l’Union européenne, dans ses conclusions à propos de l’affaire C-600/23 / Royal Football Club Seraing le 16/01/2025.

« Le débat autour du contrôle des sentences du TAS Tribunal Arbitral du Sport par les juridictions nationales illustre un dilemme fondamental : préserver l’autonomie des instances sportives tout en garantissant le respect des principes fondamentaux du droit. L’affaire RFC Seraing pourrait constituer un tournant décisif dans cette réflexion », ajoute Neil Robertson dans une analyse, pour News Tank, des enjeux de la position de Tamara Capeta (qui ne lie toutefois pas la CJUE Cour de justice de l’Union européenne dont l’arrêt n’a pas encore été rendu au 05/03/2025).


La CJ Cour de justice de l’Union européenne UE Union européenne face à la question du contrôle des sentences du TAS Tribunal Arbitral du Sport

RFC Seraing - ©  RFCS
L’affaire C-600/23 Royal Football Club Seraing met en lumière les questions soulevées par la compétence quasi exclusive du TAS dans le règlement des litiges sportifs, notamment sur la possibilité d’un contrôle juridictionnel national de ses décisions.

Ce litige oppose le club belge du RFC Seraing et la société Doyen Sports à la FIFA Fédération Internationale de Football Association , qui interdit les contrats de tierce propriété (Third-Party Ownership, TPO Third Party Ownership. Propriété de joueurs par des tiers. ), qui permettent à des investisseurs de détenir une partie des droits économiques des joueurs. Sanctionné par la FIFA, le club a vu la décision confirmée par le TAS et le Tribunal fédéral suisse.

L’ensemble du modèle actuel de l’arbitrage sportif pourrait être remis en cause au sein de l’UE »

L’avocate générale Tamara Ćapeta, dans ses conclusions rendues le 16/01/2025 à la CJUE, a soulevé une problématique essentielle. Les sentences arbitrales du TAS doivent-elles faire l’objet d’un contrôle complet par les tribunaux nationaux des États membres de l’Union européenne afin de vérifier la compatibilité des règles de la FIFA avec le droit de l’Union ?

À travers cette question, c’est l’ensemble du modèle actuel de l’arbitrage sportif qui pourrait être remis en cause au sein de l’Union européenne, avec des conséquences majeures pour les fédérations sportives et les clubs.

L’arbitrage sportif distinct de l’arbitrage commercial

L’un des arguments majeurs développés par l’avocate générale repose sur la nature particulière de l’arbitrage sportif. Contrairement à l’arbitrage commercial, où les parties consentent librement à renoncer à un recours devant les juridictions nationales, l’arbitrage sportif imposé par la FIFA et les fédérations internationales est obligatoire, créant ainsi une situation de quasi-monopole du TAS.

Selon l’avocate générale, ce système est d’autant plus problématique que le TAS applique prioritairement les règlements sportifs internationaux, reléguant le droit étatique à un rôle subsidiaire. Cette suprématie du droit sportif a été renforcée par le fait que le contrôle des sentences du TAS est principalement assuré par le Tribunal fédéral suisse, seul habilité à statuer sur des recours en annulation, mais dans un cadre très restrictif limité à la compétence du TAS ou aux atteintes manifestes à l’ordre public.

Le principe de protection juridictionnelle effective en droit de l’Union européenne

Tamara Ćapeta (CRO), avocate générale de la Cour de justice de l’Union européenne - ©  D.R.

Tamara Ćapeta fonde son raisonnement sur le principe de protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’avocate générale a ainsi considéré que le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un contrôle restreint aux seules questions d’ordre public empêche une vérification complète de la compatibilité des sentences du TAS avec les normes européennes.

Tamara Ćapeta souligne que, le Tribunal fédéral suisse étant la juridiction d’un État non membre de l’Union, aucune question préjudicielle ne peut être posée à la CJUE, privant ainsi les juridictions européennes d’un contrôle sur la conformité des décisions du TAS avec le droit de l’Union, créant une zone d’exception juridique. Cette position rejoint une critique récurrente formulée par certains juristes et acteurs du sport professionnel. La FIFA, en imposant ses propres règles et en s’appuyant sur un mécanisme d’arbitrage quasi autonome, échapperait ainsi à l’application effective du droit de l’UE.

Les implications potentielles d’un revirement de la CJUE

Le siège du TAS à Lausanne (SUI) - ©  TAS

Si la CJUE devait suivre l’avis de l’avocate générale, plusieurs conséquences majeures sont à prévoir :

  • Un contrôle juridictionnel élargi des sentences du TAS : les tribunaux nationaux des États membres pourraient être saisis pour vérifier si une sentence du TAS respecte le droit européen. Cela remettrait en cause l’autorité quasi-absolue du TAS et du Tribunal fédéral suisse en matière de contentieux sportifs.
  • Un affaiblissement du monopole de la FIFA et du TAS : le réexamen des décisions du TAS (exclusion d’un club, interdiction de transfert, etc.) limiterait considérablement le pouvoir de la FIFA.
  • Une augmentation des contentieux sportifs devant les juridictions nationales : avec un accès élargi aux juridictions nationales, une multiplication des recours est à prévoir, notamment pour les décisions impliquant une violation des règles européennes sur la concurrence, la liberté d’établissement et la libre circulation des travailleurs.
  • Un risque d’insécurité juridique et de fragmentation du droit du sport : si chaque État membre peut réexaminer une sentence du TAS en fonction de son propre droit, une jurisprudence divergente au sein de l’UE pourrait émerger. Certains pays pourraient reconnaître certaines sentences, d’autres les invalider, entraînant une instabilité dans l’application des règles sportives internationales.

Vers une réforme du TAS et des statuts de la FIFA ?

Face à ces enjeux, la FIFA et le TAS pourraient être contraints de réformer leur modèle d’arbitrage pour garantir un respect plus strict des principes fondamentaux du droit européen. Cela pourrait notamment passer par :

  • Une révision des statuts de la FIFA pour garantir une alternative aux acteurs du sport en matière de règlement des litiges ;
  • Une modification des règles du TAS, permettant un recours plus large aux juridictions nationales au sein de l’Union européenne.

Un potentiel rééquilibrage entre autonomie sportive et garanties juridiques

Le débat autour du contrôle des sentences du TAS par les juridictions nationales illustre un dilemme fondamental : préserver l’autonomie des instances sportives tout en garantissant le respect des principes fondamentaux du droit. L’affaire RFC Seraing pourrait constituer un tournant décisif dans cette réflexion.

Vers un renforcement des garanties offertes aux clubs et aux athlètes »

Attendue dans les prochains mois, la décision de la CJUE pourrait, si elle suit les recommandations de l’avocate générale, ouvrir une brèche dans l’édifice actuel du droit du sport, en permettant aux juridictions nationales, et la CJUE, de jouer un rôle actif dans le contrôle des décisions arbitrales sportives. Une telle évolution, bien que susceptible de générer une période d’incertitude juridique, irait dans le sens d’un renforcement des garanties offertes aux clubs et aux athlètes, en leur assurant un droit de recours effectif devant des tribunaux indépendants.

Dans un contexte où le sport est devenu un enjeu économique et juridique majeur, il est essentiel que l’arbitrage sportif ne soit pas imperméable aux exigences du droit européen et aux principes fondamentaux de la justice.

Neil Robertson


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Bignon Lebray
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Golf de Maisons-Laffite
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Fiche n° 53605, créée le 04/03/2025 à 22:34 - MàJ le 04/03/2025 à 22:42

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