Paris sportifs : « Il faut assujettir les clubs aux obligations anti-blanchiment » (J.-F. Vilotte, FFF)
« Faut-il assujettir les clubs de football aux obligations renforcées de lutte contre le blanchiment d’argent ? J’y suis personnellement favorable, c’est nécessaire. Il existe de nombreuses professions soumises à des obligations de contrôle renforcé, sans que cela remette en cause leur légitimité », déclare Jean-François Vilotte
Directeur général @ Fédération Française de Football (FFF)
, directeur général de la FFF
Fédération Française de Football
, le 05/11/2025.
L’ancien président de l’Autorité de régulation des jeux d’argent en France (ANJ
Autorité Nationale des Jeux.
• Autorité administrative indépendante créée le 01/01/2020, lancée le 23/06/2020 et chargée de la régulation des jeux d’argent et paris autorisés.
• L’ANJ régule les jeux…
, anciennement ARJEL
Autorité de Régulation des Jeux En Ligne.
Remplacée par l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) le 01/01/2020.
), en poste de mai 2010 à décembre 2013, s’exprime à l’occasion de la troisième édition du colloque de l’AFJEL
Association Française du Jeu en Ligne
consacré au thème « Les jeux en ligne face à la déferlante du marché illégal : quels enjeux pour quelles conséquences ? », à l’Hôtel de l’Industrie (Paris 6e).
Jean-François Vilotte répond à une question portant sur les partenariats conclus par certains clubs de football avec des opérateurs non agréés en France, considérés comme illégaux au regard de l’article 3 de la Convention sur la manipulation de compétitions sportives (Convention de Macolin), ratifiée par la France et entrée en vigueur le 01/09/2019, à la rédaction de laquelle le dirigeant de la FFF a participé. Le texte sanctionne « toute activité de pari sportif dont le type ou l’opérateur n’est pas autorisé en vertu du droit applicable dans la juridiction où se trouve le consommateur. »
Le cas de 1xBet, sponsor du Paris Saint-Germain et du FC Barcelone
Lors du colloque, le journaliste d’investigation Philippe Auclair met notamment en avant le cas de l’opérateur 1xBet, partenaire du Paris Saint-Germain
Activité : club de football professionnel français
Bureaux administratifs : 53, avenue Emile Zola, 92100 Boulogne-Billancourt
Top sponsors :
• Nike (équipementier) : 20 M€ par an de 2014-15 …
(Ligue 1 McDonald’s
Appellation du Championnat de France sur le cycle 2024-2027 (30 M€ par saison)
) hors du marché français depuis 2022-23 (partenariat prolongé le 18/09/2025 jusqu’en 2027-28 pour un montant estimé à 5 M€ par saison), mais aussi du FC Barcelone
Activité : club de football professionnel espagnol
Partenaires majeurs :
• Nike (équipementier) : depuis 1998, jusqu’en 2037-38 (127 M€ par saison depuis 2024-25)• Spotify (streaming audio) …
(LALIGA EA Sports
1ère division espagnole (20 clubs) ; contrat de naming de l’éditeur de jeux vidéo EA Sports sur le cycle 2023-2028
) depuis 2019-20 en vertu d’un accord prolongé jusqu’en 2028-29 pour un montant estimé à 12 M€ annuels.
« Ce groupe, fondé par trois ressortissants russes réfugiés à Chypre (Roman Semiokhine, Dimitri Kazorine et Sergeï Karshkov), fait l’objet de poursuites criminelles selon plusieurs autorités et enquêtes publiques. D’après des révélations largement relayées, environ 1 % de son chiffre d’affaires serait destiné au financement d’opérations militaires spéciales en Ukraine. Voilà à qui nous avons affaire », explique Philippe Auclair, qui rappelle que les opérations de 1xBet sont interdites en France et dans plusieurs pays européens.
« Du point de vue de la régulation, le club n’active pas son partenariat en France. Ce qui est interdit, c’est la publicité en France pour un site non agréé. Si le partenariat n’est pas activé sur le territoire national, il ne contrevient pas à la loi », précise Jean-François Vilotte.
À ce jour, il n’existe aucune obligation européenne à vérifier l’origine des fonds d’un sponsor, investisseur ou intermédiaire. Les clubs appliquent uniquement le droit domestique.
« Le problème, c’est que ces acteurs ne sont pas nécessairement considérés comme des parias, puisque des clubs de sport signent des partenariats avec eux. Il conviendrait peut-être de responsabiliser davantage les acteurs du monde sportif et de leur faire comprendre avec qui ils font du business. Dans n’importe quel autre secteur, si une entreprise perçoit de l’argent sans en connaître la provenance, c’est du blanchiment d’argent. Pour le football, il existe une exception », ajoute le journaliste.
Union européenne : une exemption spécifique aux agents et clubs de football professionnel dans un règlement applicable en 2029
Philippe Auclair fait ici référence au règlement (UE Union européenne ) 2024/1624, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 19/06/2024, relatif à la prévention de l’utilisation du système financier à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ce texte fait partie d’un ensemble de mesures (deux règlements et une directive) visant « à harmoniser et renforcer les règles de prévention du blanchiment et du financement du terrorisme dans l’ensemble de l’Union européenne », en instituant notamment une autorité dédiée.
Ce règlement intègre les agents et clubs de football professionnel (article 3) dans le dispositif européen de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, dont ils étaient jusqu’alors exclus.
Article 3 du règlement (UE) 2024/1624
Le champ d’action de ce règlement concerne les agents de football et les clubs de football professionnel pour les transactions suivantes :
• les transactions avec un investisseur,
• les transactions avec un sponsor,
• les transactions avec des agents de football ou d’autres intermédiaires,
• les transactions aux fins du transfert d’un footballeur.
Son application par les États membres est fixée au 10/07/2027, sauf pour les agents et les clubs de football professionnel qui pourront attendre deux ans de plus (application à partir du 10/07/2029) et bénéficient par ailleurs d’exemptions (article 5).
Les exemptions prévues à l’article 5 du règlement (UE) 2024/1624
1. Les États membres peuvent décider d’exempter les clubs de football professionnel qui participent à la première division de la ligue nationale de football et dont le chiffre d’affaires annuel total est inférieur à 5 M€, ou l’équivalent en monnaie nationale, pour chacune des deux années civiles précédentes, sur la base du risque faible avéré que présentent la nature et l’ampleur de l’activité de ces clubs de football professionnel.
2. Les États membres effectuent une évaluation des risques liés aux clubs de football professionnel, qui porte sur :
a) les menaces et les vulnérabilités et les facteurs d’atténuation liés aux clubs de football professionnel en ce qui concerne le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
b) les risques liés à la taille et à la nature transfrontière des transactions.
3. Les États membres mettent en place des activités de surveillance fondées sur les risques ou prennent d’autres mesures appropriées pour que les exemptions accordées en vertu du présent article ne fassent pas l’objet d’abus.
En résumé :
- Les clubs de football professionnel seront intégrés au périmètre de la lutte contre le blanchiment à compter du 10/07/2029.
- Les clubs de première division au chiffre d’affaires inférieur à 5 M€ pourront en être exemptés par les États, mais uniquement si le risque est jugé « faible ».
- Les États membres devront justifier et encadrer ces exemptions via une évaluation du risque et une surveillance adaptée.
« Que le CIO
Comité International Olympique (International Olympic Committee, IOC)
ait la même exigence de ratification de la Convention de Macolin que pour la convention de l’UNESCO sur la lutte contre le dopage » (J.-F. Vilotte)
L’illégalité d’un site s’apprécie au regard du droit du pays consommateur »
« J’ai été vice-président du comité de rédaction de la Convention de Macolin, une convention internationale longuement combattue par la Commission européenne, qui en a retardé la signature et la ratification par les États. La Commission a été longtemps plus à l’écoute de Malte que des pays engagés dans la rédaction de cette convention. C’est pourquoi il est peut-être un peu optimiste d’attendre de sa part une action très volontariste et déterminée en matière de lutte contre les opérateurs illégaux.
Ce qu’il faut principalement en retenir, c’est que l’illégalité d’un site s’apprécie au regard du droit du pays consommateur, et non du pays où est établi l’opérateur. C’est un point essentiel.
Cette convention, qui lutte contre la manipulation des compétitions sportives, reste encore très insuffisamment ratifiée par les États membres. Il y a là une responsabilité du mouvement sportif. Je souhaiterais que le CIO ait la même exigence de ratification de cette convention de la part des États s’ils souhaitent accueillir de grands événements sportifs internationaux, comme cela a été fait pour la convention de l’UNESCO
Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
sur la lutte contre le dopage. Il faut que le mouvement sportif soit beaucoup plus exigeant envers les États, notamment sur la lutte contre les opérateurs illégaux, s’ils veulent accueillir des événements de grande importance.
La Convention est de surcroît ouverte, c’est-à-dire qu’elle peut être signée par des États qui ne sont pas membres, et donc avoir une portée universelle. Peut-être faudrait-il demain la déplacer au sein de l’UNESCO, dans la continuité du mouvement initié sur le dopage — d’abord traité au Conseil de l’Europe en 1989, puis à l’UNESCO en 2005.
La Convention de Macolin est un instrument sur lequel le mouvement sportif pourrait fortement s’appuyer »Cette convention contient trois éléments fondamentaux :
• une définition claire du jeu illégal ;
• la reconnaissance du fait que certains paris sont plus dangereux que d’autres pour l’intégrité du sport, et qu’ils doivent être interdits ;
• la nécessité, compte tenu des réseaux criminels à l’œuvre et du caractère international des manipulations, d’harmoniser les législations pour permettre une coopération pénale effective, alors que nous en sommes encore loin.
La Convention de Macolin est un instrument sur lequel le mouvement sportif pourrait fortement s’appuyer : obliger les États à la ratifier s’ils veulent accueillir de grands événements sportifs.
Il faut éviter de surtaxer les opérateurs légaux »Si l’on veut éviter que la mauvaise monnaie ne chasse la bonne, il faut préserver l’attractivité de l’offre légale. C’est absolument nécessaire. Cela signifie que les opérateurs légaux puissent se faire connaître, qu’ils puissent faire de la publicité, nouer des relations de sponsoring, etc.
Ensuite, il faut qu’ils puissent être compétitifs, raisonnablement, dans le cadre d’une régulation vertueuse. Pour cela, il faut éviter de surtaxer les opérateurs légaux ; autrement, nous faisons le lit des opérateurs illégaux.
AFJEL : l’offre illégale représente 1,2 Md€ de manque à gagner pour l’État en 2025 (+ 30 % vs 2023)
L’AFJEL publie le 05/11/2025 son baromètre 2025 sur le marché illégal des jeux en ligne. Parmi les chiffres clés mentionnés dans ce rapport :
• 5,4 millions de joueurs en France évoluent sur le marché illégal (contre 3,5 millions sur le marché régulé) en 2025, soit une hausse de 35 % par rapport à 2023 ;
• parmi eux, 1,3 million effectuent des paris sportifs, et 1 million des paris sur l’esport ;
• 2 Md€ de PBJ Produit Brut des Jeux. Différence entre le total des mises engagées par les parieurs et les sommes reversées, par les opérateurs de paris sportifs, au titre des gains réalisés. Le PBJ exprime donc… généré par le marché illégal en 2025 (+ 25 % depuis 2023) ;
• l’offre illégale représente 1,2 Md€ de manque à gagner pour l’État en 2025 (+ 30 % vs 2023) ;
• le coût social des pratiques addictives des joueurs français sur le marché illégal est estimé à 4 Md€.
L’équilibre recherché avec la loi du 12/05/2010 (relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) consistait à faire basculer la demande d’une offre illégale vers une offre légale, beaucoup plus protectrice, à condition que cette offre légale soit suffisamment attractive pour que ce basculement puisse s’opérer.
Or, on voit bien, à la lumière du Baromètre AFJEL 2025, que ce point d’équilibre est en train d’être rompu, et qu’il faut de nouveau travailler à renforcer l’attractivité de l’offre légale. Il est très important d’avoir toujours à l’esprit la singularité du marché des jeux d’argent sur Internet.
Quand on détériore l’attractivité de l’offre légale, on favorise mécaniquement l’offre illégale. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas lutter contre l’offre illégale avec des moyens spécifiques, mais si l’offre légale n’est pas compétitive, cette lutte est vaine.
L’un des instruments les plus utiles reste le droit au pari »Les meilleurs alliés pour lutter contre la manipulation des compétitions sportives, ce sont les opérateurs légaux. Je ne connais pas de manipulation d’ampleur née de paris enregistrés auprès d’opérateurs légaux et correctement régulés. Cela n’existe pas. Ces manipulations naissent toujours de paris enregistrés à distance, le plus loin possible du lieu de la compétition, auprès d’opérateurs les moins régulés.
L’un des instruments les plus utiles reste le droit au pari Les Fédérations et Ligues sportives touchent entre 0,75 et 2,5 % des mises placées par les parieurs français, en ligne ou dans les points de vente, sur les compétitions qu’ils organisent et qui sont… . Ce droit consiste en l’obligation faite aux opérateurs agréés de contractualiser avec les organisateurs sportifs pour convenir de dispositifs de prévention des risques, favoriser la transparence et faire en sorte que l’exploitation commerciale de l’événement bénéficie à l’organisateur. Ce contrat de droit au pari existe et favorise des relations réellement partenariales.
Adapter le cadre plutôt que d’improviser des régulations inefficaces »Enfin, il faut que l’offre s’adapte à la plasticité du marché. Depuis 2010, elle a très peu évolué : on n’a pas permis aux opérateurs légaux de développer de nouvelles offres depuis cette date, ce qui a eu pour effet de produire des opérateurs illégaux et des régulations ni faites ni à faire (esport, fantasy games, métavers Monde virtuel partagé où les personnes, sous la forme d’avatars, peuvent interagir les uns avec les autres, profiter de concerts, faire des achats numériques, etc. , etc.). Il aurait été plus simple d’adapter le cadre plutôt que d’improviser des régulations inefficaces.
Je plaidais également pour que le régulateur dispose d’un pouvoir normatif délégué, sous le contrôle du Parlement, afin de faire évoluer le cadre de régulation au rythme du marché. Cela n’a pas été fait. Nous sommes passés à côté du rendez-vous. La clause de revoyure prévue 18 mois après la loi de 2010 n’a jamais eu lieu. En tant que président de l’ARJEL, j’en ai tiré les conséquences et j’ai démissionné en 2014. »
Jean-François Vilotte, directeur général de la FFF et ancien président de l’ARJEL (ANJ
Activité : Autorité Nationale des Jeux, autorité de régulation des jeux d’argent, mise en place par la loi Pacte et l’ordonnance du 02/10/2019, succède à l’ ARJEL (autorité de Régulation des Jeux En…
), le 05/11/2025
« S’attaquer aux facilitateurs, sans qui les sites de paris illégaux ne pourraient pas opérer » (P. Auclair)
« Il faut trouver une solution pour endiguer cette déferlante de sites de paris illégaux. On parle d’un marché mondial estimé à 1 700 Md$ de chiffre d’affaires. Chaque fois que nous pensons mettre fin à un site illégal, deux ou trois autres surgissent.
Nous avons recensé 12 500 sites illégaux. Nous voyons très vite la limite de ce que nous pouvons faire. En revanche, là où nous pouvons agir, c’est en s’attaquant aux facilitateurs, sans qui les sites de paris illégaux ne pourraient pas opérer.
D’abord, il y a les fournisseurs de données en temps réel, impliqués dans l’activité de paris et partenaires de fédérations ou de ligues pour préserver l’intégrité des compétitions. Le problème, c’est que leurs données finissent sur les sites illégaux. Il faudrait leur demander comment il est possible qu’ils n’aient pas le contrôle de leurs flux.
11 clubs de Premier League sponsorisés par des sites de paris illégaux »Ensuite, il y a les agences de droits marketing qui, en tant qu’intermédiaires, permettent aux sites de paris sportifs de trouver des partenaires dans l’économie du sport. Par exemple, en Angleterre, 11 clubs de Premier League
Ligue professionnelle qui gère la Premier League, la 1ère division professionnelle anglaise (20 clubs).
sont sponsorisés par des sites de paris illégaux. C’est aussi le cas en Espagne, en Italie, en Allemagne et en France. Être associé à un club européen leur confère une forme de respectabilité.
Enfin, on peut agir sur les courtiers de licences offshore. Ces sites ne peuvent exister qu’en acquérant des licences dans des juridictions offshore, qui ont beaucoup évolué ces 12 derniers mois. Curaçao, les Philippines et l’Île de Man, qui étaient des hébergeurs majeurs, ont pris des mesures drastiques en 2024 (nouvelles régulations, arrestations, fermetures d’entreprises).
Ce ne sont pas des Robin des Bois qui contournent les régulations : ce sont des criminels »Mais cela n’arrête pas les opérateurs illégaux : de nouvelles juridictions se sont ouvertes — Anjouan (archipel des Comores), Vanuatu, la réserve de Kahnawake (Canada), ou encore les Émirats arabes unis, qui commencent à prendre part au mouvement. Ces nouvelles juridictions ne sont pas toujours mises en place par les États eux-mêmes, mais par des agents et des courtiers en licences, qui sont toujours des occidentaux.
Il y a aussi un enjeu sociétal lié à la fermeture de ces sites : certains se rendent coupables de pratiques proches du cyber-esclavage (comme BK8 au Cambodge). Ce ne sont pas des Robin des Bois qui contournent les régulations : ce sont des criminels. Pour les attaquer efficacement, la meilleure stratégie est de s’en prendre à ceux qui leur permettent d’agir — et ces facilitateurs sont à notre porte. »
Philippe Auclair, journaliste, le 05/11/2025



Comité International Olympique (International Olympic Committee, IOC)