Superligue / CJUE : « L’architecture du foot européen pas remise en cause à court terme » (C. Amson)
« La décision du 21/12/2023, si elle ouvre à l’évidence une brèche dans le monopole d’organisation des compétitions en Europe détenu par l’UEFA
Union des Associations Européennes de Football
, ne semble pas, en tout cas à court terme, devoir remettre en cause l’ensemble de l’architecture du football européen », indique Charles Amson
Fondateur / Avocat @ Cabinet Amson (Amson)
• Avocat au Barreau de Paris.
• Docteur en droit (Université Paris-II-Panthéon-Assas), Charles Amson a soutenu, en 2008, une thèse consacrée à La place…
, avocat au Barreau de Paris et spécialiste en droit du Sport, dans une analyse de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE
Cour de Justice de l’Union Européenne
) concernant le projet de Superligue européenne, le 08/01/2024.
« La Cour a estimé qu’au moment de la saisine du Tribunal de Commerce de Madrid (ESP), les règles mises en place par l’UEFA empêchaient, en l’absence de précision sur les critères et les modalités des sanctions pouvant être prises à l’encontre des clubs participant à des compétitions n’étant pas organisées par l’UEFA, “toute entreprise organisatrice d’une compétition potentiellement concurrente de faire utilement appel aux ressources disponibles sur le marché, à savoir les clubs et les joueurs, ces derniers s’exposant, en cas de participation à une compétition n’ayant pas reçu d’autorisation préalable” : elles s’avéraient, par suite, contraires aux dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aussi appelé traité de Rome
et étaient bien constitutives d’un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE. »
« Le juge espagnol devra déterminer si les règles instituées par la FIFA
Fédération Internationale de Football Association
et l’UEFA sont suffisamment précises pour justifier l’organisation de compétitions concurrentes et, dans l’affirmative, si les sanctions prises contre les clubs qui s’engageraient dans celles-ci sont bien proportionnées. Cependant, l’analyse de cet arrêt ne peut faire abstraction de l’entrée en vigueur, au mois de juin 2022, soit depuis la saisine de la Cour, de nouveaux règlements de l’UEFA. Ceux-ci prévoient notamment, de manière plus détaillée, les conditions d’inscription des clubs à la compétition », explique Charles Amson dans son analyse juridique pour News Tank.
« L’UEFA Union des Associations Européennes de Football n’a pas encore perdu la partie » (C. Amson, avocat)
La décision rendue le 21/12/2023 par la Cour de Justice de l’Union européenne dans le cadre des questions préjudicielles lui ayant été posées par le Tribunal de Commerce de Madrid (ESP) et relatives à la possibilité d’organiser une Superligue a été considérée par beaucoup d’observateurs comme un nouvel arrêt Bosman Rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 15/12/1995, il a contraint la FIFA et l’UEFA à mettre un terme aux quotas de nationalité au sein de l’Union européenne. , à même d’entraîner une révolution dans l’organisation du football en Europe.
Il n’est cependant pas certain que cette interprétation soit justifiée par un examen détaillé de la décision.
1. Rappel des faits et de la procédure
L’arrêt en cause a été rendu, dans le cadre du litige opposant la société European Super League Company (ci-après ESLC), constituée de douze clubs, parmi lesquels le Real Madrid, le Barça, Manchester City ou encore Arsenal, et l’UEFA.
Cette société a principalement pour objet de créer une nouvelle compétition européenne, dénommée Super League, destinée à concurrencer directement l’actuelle Ligue des champions et, par suite, à remettre en cause le monopole de l’UEFA sur l’organisation des compétitions européennes de clubs.
Cette compétition vise à accueillir à la fois des membres permanents (notamment les douze clubs à l’origine de la création de la société) et des membres non permanents, dont les critères de participation aux compétitions n’ont pas encore été définis.
Or, le pacte d’actionnaires et d’investissement signé entre les initiateurs du projet prévoit une condition suspensive liée soit à la reconnaissance de la compétition par les instances du football (FIFA Fédération Internationale de Football Association et UEFA) soit à la garantie, sous forme d’une protection juridique, que les participants à la superligue pourront continuer à participer à leurs championnats nationaux.
L’UEFA et la FIFA ayant menacé, dans le courant de l’année 2021, de sanctions les clubs et joueurs qui participeraient à cette compétition, la société ESLC a saisi le Tribunal de Commerce de Madrid d’une action en matière commerciale visant, pour résumer, à s’assurer de la conformité du projet aux règles du droit communautaire relatives à la libre concurrence.
La société requérante soutenait notamment qu’une éventuelle interdiction violerait les dispositions des traités relatives à la libre concurrence et à la libre prestation de services.
Au mois de décembre 2022, Athanasios Rantos, l’avocat général devant la CJUE, avait conclu à la compatibilité des règles de l’UEFA et de la FIFA »La juridiction espagnole décida, en application des dispositions de l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), de poser six questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’UE dont elle estimait nécessaire de connaître la position avant de statuer et relatives à la conformité des règles de l’UEFA et de la FIFA aux dispositions de droit communautaire relatives à la libre concurrence.
Au mois de décembre 2022, Athanasios Rantos, l’avocat général devant la Cour de Justice, lequel présente à la juridiction un avis motivé (que celle-ci, bien qu’elle n’y soit pas tenue, suit dans la majorité des cas), avait conclu à la compatibilité des règles de l’UEFA et de la FIFA.
La décision du 21/12/2023 donnant tort à ces dernières a, par suite, surpris de nombreux observateurs.
Il faut d’ailleurs préciser que deux autres décisions relatives à des questions similaires ont été rendues le même jour par la Cour, laquelle s’est prononcée, d’une part, sur la compatibilité entre les règles du droit de l’Union européenne et la réglementation de la Fédération internationale de patinage de vitesse (International Skating Union, ISU) sur l’organisation des compétitions internationales et, d’autre part, sur le respect des règles de concurrence par la réglementation de l’UEFA et de la Fédération belge de football (RBFA Royal Belgian Football Association, dénomination de la Fédération belge de football depuis le 08/11/2019. ) concernant la détermination des quotas de joueurs formés localement.
2. La teneur de la décision
La Cour de Justice a rendu une décision très argumentée dans laquelle elle a, probablement par souci pédagogique, rappelé les grands principes régissant l’application à l’activité sportive des règles issues du droit de l’Union européenne.
Elle commença ainsi par préciser, de manière assez générale, les pouvoirs dévolus à la FIFA et à l’UEFA, auxquelles il revient d’autoriser et d’organiser la tenue des compétitions internationales entre les clubs affiliés à une association nationale.
Compte tenu de cette situation, la Cour se demanda si la position de monopole ou, à tout le moins, de domination sur le marché de ces deux instances était contraire aux articles 101 et 102 du TFUE, ainsi qu’aux différentes libertés fondamentales garanties par ce dernier.
Pour bien comprendre les développements qui suivent, il faut rappeler que l’article 101 interdit les pratiques commerciales et accords d’entreprises susceptibles de restreindre la libre concurrence alors que l’article 102 prohibe les abus de position dominante d’une entreprise sur le marché.
Aucune éventuelle exception sportive ne justifie de soustraire les règles de la FIFA ou de l’UEFA concernant la participation aux compétitions internationales au respect des dispositions du TFUE »Afin de répondre à ces interrogations, la Cour fit, tout d’abord, référence à sa propre jurisprudence selon laquelle aucune éventuelle exception sportive ne justifie de soustraire les règles de la FIFA ou de l’UEFA concernant la participation aux compétitions internationales au respect des dispositions du TFUE.
Il convient, en revanche, dans l’appréciation de la compatibilité des premières (c’est-à-dire les règles sportives) par rapport aux secondes (les règles issues du droit de l’Union européenne), de tenir compte des spécificités de l’activité sportive et de la nécessité d’organiser de manière homogène et coordonnée les compétitions.
Or, toujours selon la Cour, si la FIFA et l’UEFA doivent bien être qualifiées d’« association d’entreprises », au sens du droit communautaire de la concurrence, « les spécificités du football professionnel, notamment son importance sociale, culturelle et médiatique, ainsi que le fait que ce sport repose sur l’ouverture et le mérite sportif, permettent de considérer qu’il est légitime de soumettre l’organisation et le déroulement des compétitions internationales de football professionnel à des règles communes destinées à garantir l’homogénéité et la coordination de ces compétitions au sein d’un calendrier d’ensemble ainsi qu’à promouvoir la tenue de compétitions sportives fondées sur une certaine égalité des chances ainsi que sur le mérite. »
La spécificité du sport de compétition peut justifier l’édictions de règles dérogeant au principe de libre concurrence mais ces restrictions doivent être proportionnées au but recherché »Autrement dit, la spécificité du sport de compétition peut justifier l’édictions de règles dérogeant au principe de libre concurrence mais ces restrictions doivent être proportionnées au but recherché : dès lors, les critères de participation aux compétitions organisées par l’UEFA doivent être définis de manière transparente, objective précise et non discriminatoire, faute de quoi l’attitude de ladite UEFA serait constitutive d’un abus de position dominante.
La Cour a ainsi estimé qu’au moment de la saisine du Tribunal de Commerce de Madrid, les règles mises en place par l’UEFA empêchaient, en l’absence de précision sur les critères et les modalités des sanctions pouvant être prises à l’encontre des clubs participant à des compétitions n’étant pas organisées par l’UEFA, « toute entreprise organisatrice d’une compétition potentiellement concurrente de faire utilement appel aux ressources disponibles sur le marché, à savoir les clubs et les joueurs, ces derniers s’exposant, en cas de participation à une compétition n’ayant pas reçu d’autorisation préalable » : elles s’avéraient, par suite, contraires aux dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et étaient bien constitutives d’un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE.
En résumé, la Cour estime que la mise en place de règles d’autorisation préalable, de participation et de sanction par la FIFA et à l’UEFA constitue bien, en l’état des règlements en vigueur au moment de la naissance de l’affaire, un abus de position dominante, étant entendu que, sur le principe, la juridiction reconnaît la possibilité pour ces instances de « contrôler (les conditions) de participation des clubs de football professionnel à de nouvelles compétition. »
La seule possibilité pour l’UEFA de « sauver » sa réglementation consisterait, par suite, à démontrer les objectifs légitimes d’intérêt général poursuivis par celle-ci et le caractère indispensable de la mise en place de restrictions aux règles de concurrence.
Pour être tout à fait complet, il faut préciser que la décision rendue le même jour et par la même Cour dans le cadre du litige relatif à la Fédération internationale de patinage de vitesse a abouti à une solution équivalente, les juges ayant estimé que les règles par lesquelles l’ISU soumettait à autorisation l’organisation de compétitions concurrentes étaient illégales.
Cette décision ne mettant pas un point final au litige entraîne, dès lors, de nombreuses interrogations sur sa réelle portée.
3. Les interprétations divergentes de la décision et ses suites prévisibles
La décision pose, par suite, des questions sur les points suivants :
- L’avenir de la Superligue
A la suite de la décision de la CJUE Cour de Justice de l’Union Européenne , l’affaire va revenir devant le Tribunal de Commerce de Madrid, lequel devra statuer sur la base des règles d’interprétation qui viennent d’être évoquées.
Autrement dit, ledit Tribunal devra déterminer si les règles instituées par la FIFA et l’UEFA sont suffisamment précises pour justifier l’organisation de compétitions concurrentes et, dans l’affirmative, si les sanctions prises contre les clubs qui s’engageraient dans celles-ci sont bien proportionnées.
Cependant, l’analyse de cet arrêt ne peut faire abstraction de l’entrée en vigueur, au mois de juin 2022, soit depuis la saisine de la Cour, de nouveaux règlements de l’UEFA.
Ceux-ci prévoient notamment, de manière plus détaillée, les conditions d’inscription des clubs à la compétition.
Il est, par suite, en l’état, impossible de déterminer si ces nouveaux règlements satisfont ou non aux obligations imposées aux instances du football par la décision de la CJUE.
L’UEFA pourrait décider d’affiner encore sa réglementation afin de répondre aux exigences nouvelles provoquées par cette décision »L’UEFA pourrait également décider, pour limiter les risques, d’affiner encore sa réglementation afin de répondre aux exigences nouvelles provoquées par cette décision.
Elle aurait par exemple, la possibilité de décider d’une répartition différente des droits audiovisuels liés à la Ligue des champions : une augmentation des sommes versées aux « grands » clubs rendrait, en effet, moins légitime la volonté d’ESLC de créer une compétition concurrente.
Elle pourrait également davantage justifier les raisons pour lesquelles la mise en place d’une compétition concurrente mettrait, selon elle, à mal l’équilibre du football européen.
Il appartiendra ensuite, une fois la position du Tribunal de commerce de Madrid connue, à la société ESLC de décider, en toute connaissance de cause, de lancer ou non cette nouvelle compétition.
- Les éventuelles sanctions contre les clubs qui s’engageraient dans la Superligue
L’activité sportive est organisée sur la base d’un système pyramidal : il en résulte que les clubs participant au Championnat de France sont tenus de respecter les Statuts de la Fédération Française de Football, laquelle doit elle-même respecter la réglementation de l’UEFA et de la FIFA.
La Confédération européenne aurait, par suite, la possibilité théorique de sanctionner les fédérations qui laisseraient participer à leur championnat national les clubs s’engageant également dans la Superligue.
L’article 49 des Statuts de l’UEFA énonce ainsi à son alinéa 1er que cette dernière « décide seule de l’organisation et de la suppression de compétitions internationales en Europe auxquelles participent des associations et/ou des clubs de celles-ci. Les compétitions de la FIFA ne sont pas concernées par cette disposition. »
L’alinéa 3 ajoute que « les matches, compétitions ou tournois internationaux qui ne sont pas organisés par l’UEFA mais joués sur le territoire de l’UEFA nécessitent l’autorisation préalable de la FIFA et/ou de l’UEFA et/ou des associations membres compétentes, conformément au règlement des matches internationaux de la FIFA et aux dispositions d’exécution complémentaires adoptées par le Comité exécutif de l’UEFA ».
Une situation qui verrait le coexistence de deux compétitions majeures caractériserait, à l’évidence, une nouvelle ère pour le football de clubs »Sur la base de ces dispositions, un club français participant à la Superligue pourrait ainsi se voir interdire de participation au championnat de Ligue 1 mais pourrait ensuite contester cette éventuelle sanction devant la justice, probablement devant le juge administratif.
De manière plus générale, une situation qui verrait le coexistence de deux compétitions majeures caractériserait, à l’évidence, une nouvelle ère pour le football de clubs.
Le football pourrait ainsi connaître le sort du basket, lequel a vu, pendant plusieurs années, coexister deux compétitions concurrentes : la Champions League organisée par la Fédération internationale (FIBA Fédération Internationale de Basketball ) et l’Euroleague, mise sur pied par la société privée du même nom.
Ce scénario, qui ne pourrait que remettre en cause l’attractivité des compétitions européennes de clubs, n’est cependant pas aujourd’hui le plus probable.
- La validité de la clause Superligue dans l’accord LFP Ligue de Football Professionnel, association qui gère les compétitions professionnelles françaises (Ligue 1 Uber Eats, Ligue 2 BKT) -CVC
Cette décision a également provoqué de vives inquiétudes des instances françaises du football.
En effet, une clause du contrat signé entre le fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners, la filiale commerciale de la Ligue de Football Professionnel, et cette dernière énonce que si un club français du Top 8 quitte le championnat national pour participer à la Superligue, la LFP devra régler de lourdes pénalités à CVC.
Cet accord ayant été largement approuvé à deux reprises (tout d’abord au mois de mars 2022 puis le 23/11/2023, à la suite d’une action entreprise par Le Havre AC relative à la répartition des droits TV et ayant contraint la LFP à conforter son choix par un nouveau vote) par l’Assemblée générale de la LFP, cette dernière semblerait, a priori, mal fondée à s’opposer à l’application d’une clause dont elle a souhaité l’entrée en vigueur.
Il est cependant difficile, à ce stade et en l’absence de précision supplémentaire sur le contenu de ladite clause, de se montrer plus précis.
En résumé, la décision du 21/12/2023, si elle ouvre à l’évidence une brèche dans le monopole d’organisation des compétitions en Europe détenu par l’UEFA, ne semble pas, en tout cas à court terme, devoir remettre en cause l’ensemble de l’architecture du football européen.
Charles Amson
Fondateur / Avocat @ Cabinet Amson (Amson)
Téléphone : +33683501458
• Avocat au Barreau de Paris.
• Docteur en droit (Université Paris-II-Panthéon-Assas), Charles Amson a soutenu, en 2008, une thèse consacrée à La place de l’arbitrage dans la résolution des litiges sportifs.
• Auteur d’un ouvrage intitulé Droit du sport (Éditions Vuibert) et de nombreux articles dans des revues juridiques, il enseigne le droit du sport dans plusieurs écoles, dont SMS (Sports Management School).
Cabinet Amson : 18, avenue Kléber 75016 Paris
Consulter la fiche dans l‘annuaire
Parcours
Fondateur / Avocat
Fiche n° 5704, créée le 03/09/2014 à 10:40 - MàJ le 06/10/2021 à 10:39