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Piratage : « beoutQ menace tout l’écosystème du sport international » (Sophie Jordan, beIN Media Group)

News Tank Sport - Paris - Entretien n°139916 - Publié le 14/02/2019 à 09:00
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Sophie Jordan - ©  Panoramic

« S’il n’est pas stoppé rapidement, le développement de beoutQ (entité pirate saoudienne) deviendra incontrôlable et dégradera de plusieurs milliards d’euros la valeur des événements sportifs et contenus culturels internationaux. La baisse des droits télévisuels aura des conséquences sur les détenteurs de droits, les ligues sportives, les fédérations, les clubs, ainsi que sur le sport amateur. C’est tout l’écosystème du sport international qui est impacté », déclare Sophie Jordan, general counsel de beIN Media Group Activité : groupe de télévision payanteCréation : 01/11/2003 (Al-Jazeera Sport avant le 01/01/2014)Président : Nasser Al-KhelaïfiDirecteur général : Yousef Al-ObaidlyChaînes : beIN SPORTS, beIN… et directrice générale adjointe de beIN Sports France Activité : groupe de télévision sportive payante (rebranding d’Al-Jazeera Sport le 01/01/2014)• Première chaîne beIN Sport lancée en France, en juin 2012 Actionnariat : beIN Media Group via beIN… , à News Tank, le 13/02/2019.

« beoutQ constitue la plus grande opération de piratage audiovisuel à échelle industrielle que le monde ait connue. Nous avons constaté les conséquences désastreuses de ces mesures et de ce piratage, avec une perte importante d’abonnés et de revenus sur la région MENA Middle East and North Africa / Moyen-Orient et Afrique du Nord , et les effets du piratage de beoutQ se propagent à d’autres territoires. En effet, la disponibilité de ce réseau pirate, qui est à présent lui-même piraté, s’étend aujourd’hui bien au-delà de la région MENA », affirme la directrice générale adjointe de beIN Sports France.

« Nous accordons évidemment une importance particulière à l’attitude adoptée par les ayants-droit vis-à-vis du piratage de leurs contenus et du vol de leur propriété intellectuelle. Il est évident que nous ne pouvons accepter aucune passivité des ayants-droits sur ce point, et que leur engagement à protéger l’exclusivité qui nous est vendue, par des mesures concrètes de nature juridique ou autre, est pris en considération au moment d’enchérir ou de renouveler nos droits », ajoute Sophie Jordan, qui répond aux questions de News Tank.


« Nous accordons la plus grande importance à la lutte contre le piratage sous toutes ses formes » (S. Jordan, beIN Media Group)

  • beIN Media Group a entamé une procédure d’arbitrage pour plus d’un milliard de dollars (862 M€) contre l’Arabie Saoudite le 01/10/2018. Quels éléments avez-vous pris en compte pour estimer le montant de votre préjudice et qu’en est-il de cette procédure ?
Nous avons été illégalement exclus du marché saoudien depuis juin 2017 »

Nous avons lancé une procédure d’arbitrage car nous avons été illégalement exclus du marché saoudien. Depuis juin 2017, le gouvernement saoudien a mis en place des mesures abusives à l’encontre de beIN visant à stopper notre activité commerciale sur cet important territoire. De plus, le gouvernement saoudien soutient activement le piratage généralisé de nos contenus exclusifs, qui sont repris par une chaîne pirate, beoutQ, disponible sur Arabsat. beoutQ constitue la plus grande opération de piratage audiovisuel à échelle industrielle que le monde ait connue. Nous avons constaté les conséquences désastreuses de ces mesures et de ce piratage, avec une perte importante d’abonnés et de revenus sur la région MENA Middle East and North Africa / Moyen-Orient et Afrique du Nord , et les effets du piratage de beoutQ se propagent à d’autres territoires. En effet, la disponibilité de ce réseau pirate, qui est à présent lui-même piraté, s’étend aujourd’hui bien au-delà de la région MENA Middle East and North Africa / Moyen-Orient et Afrique du Nord . Nos pertes financières continuent dès lors de croître chaque jour qui passe.

L’OMC a établi un groupe spécial de règlement des différends contre l’Arabie Saoudite »

En parallèle de la procédure d’arbitrage de beIN à l’encontre de l’Arabie Saoudite, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a récemment annoncé avoir établi un groupe spécial de règlement des différends contre l’Arabie Saoudite, concernant ses manquements en matière de protection des droits de propriété intellectuelle, conformément à ses obligations en vertu des règles de l’OMC, y compris en ce qui concerne le piratage beoutQ. Nous avons fourni toutes les preuves et éléments nécessaires démontrant l’implication de l’Arabie Saoudite et d’Arabsat dans ce piratage, corroborés par les expertises techniques d’opérateurs de sécurité numérique et technologique de premier plan qui confirment l’implication d’Arabsat, dont le principal actionnaire est le gouvernement saoudien.

•  beIN Media Group a lancé un site internet (https://beoutq.tv/) destiné à démontrer l’implication de l’Etat saoudien dans le piratage de l’industrie mondiale du sport et du divertissement, le 16/01/2019.

• Le site « met au grand jour une montagne de preuves contre beoutQ et sera régulièrement mis à jour au fur et à mesure des poursuites judiciaires à l’encontre de l’Arabie Saoudite, de sorte que l’opération pirate soit tenue pour responsable. Le site web contient des informations sur l’emplacement de beoutQ, sur ses soutiens et, ce qui est le plus choquant, décrit en détail tous les droits commerciaux volés à des organisations du monde du sport et du divertissement depuis la première apparition de beoutQ (août 2017) », indiquait beIN Media Group.

  • Au-delà du préjudice subi par beIN, est-ce qu’on peut quantifier l’impact de ce piratage à grande échelle pour l’industrie du sport ?
Plusieurs milliards d’euros en jeu »

S’il n’est pas stoppé rapidement, le développement de beoutQ deviendra incontrôlable et dégradera de plusieurs milliards d’euros la valeur des événements sportifs et contenus culturels internationaux. Si ces actes de piratage restent impunis et continuent de se développer, les diffuseurs internationaux, qui investissent des millions d’euros dans le sport au travers des droits exclusifs de retransmission, cesseront simplement de dépenser autant pour acquérir ces droits, s’ils ne peuvent pas être protégés.

Les diffuseurs contribuent au financement du sport amateur »

La baisse des droits télévisuels aura des conséquences sur les détenteurs de droits, les ligues sportives, les fédérations, les clubs ainsi que sur le sport amateur. C’est tout l’écosystème du sport international qui est impacté. L’usager des solutions pirates en est malheureusement rarement conscient, mais les grandes chaînes et réseaux payants sont les principaux contributeurs au financement des événements sportifs qu’ils regardent à la télévision, et par le biais des mécanismes de solidarité, au financement du sport amateur.

  • Hormis cette procédure d’arbitrage, quels moyens utilisez-vous au quotidien pour lutter contre beoutQ ?
Nous avons investi des millions d’euros dans des technologies afin de protéger nos contenus »

Nous accordons la plus grande importance à la lutte contre le piratage sous toutes ses formes, quels que soient les supports, ou la provenance. A cet égard, nous avons investi des millions d’euros pour implémenter les toutes dernières technologies afin de protéger nos contenus, nous travaillons au quotidien avec les prestataires experts en la matière, et avons développé une cellule anti-piratage qui monitore, identifie, enregistre les usages illicites de nos programmes et active en temps réel les mesures disponibles pour faire cesser au plus vite les usages non autorisés, au travers de solutions techniques, notifications immédiates et si besoin de procédures juridiques.

beoutQ a d’énormes moyens et capacités de retransmission »

Cette cellule lutte contre les agissements de beoutQ depuis 18 mois et a établi, preuves à l’appui, les liens entre beoutQ, l’Arabie Saoudite et Arabsat. En dépit des nombreuses mesures que nous avons mises en place pour stopper ce piratage, force est de constater que beIN ainsi que tous les autres éditeurs de chaînes et producteurs de contenus présents sur les décodeurs beoutQ continuent de subir quotidiennement le vol de leurs droits. Il faut rappeler que beoutQ a d’énormes moyens et capacités de retransmission, grâce au soutien d’Arabsat dont ils utilisent les fréquences satellitaires. Ils sont également soutenus par le gouvernement saoudien, qui non seulement promeut les émissions pirates de beoutQ, mais leur permet également d’opérer, de se développer et de déjouer nos contre-mesures pour continuer à voler nos programmes. 

France - Croatie, finale de la Coupe du monde 2018, diffusée illégalement par beoutQ -

Une tentative orchestrée de dissimuler le piratage »

Ce qui est peut-être le plus remarquable dans cette opération coordonnée de piratage, ce sont les tentatives ridicules d’Arabsat de suggérer que l’opérateur satellite n’a rien à voir dans cette affaire. Nous avons pu lire des affirmations absurdes selon lesquelles le piratage était opéré depuis Cuba et la Colombie (et ce, en dépit du fait que les entités gouvernementales de ces pays déclarent le contraire, et en dépit des preuves évidentes que beoutQ est une opération saoudienne). Lors des phases de tests, nous avons assisté à plusieurs reprises à des interruptions de diffusion, ainsi qu’à des changements à répétition des fréquences utilisées par beoutQ sur Arabsat, dans une tentative orchestrée de dissimuler le piratage. Le modus operandi des pirates est simple : opérer à couvert derrière le bouclier des autorités gouvernementales saoudiennes, qui font barrage à toute action locale efficace contre beoutQ, en violation des règles de droit les plus élémentaires. Les opérateurs de beoutQ sont ainsi assurés de pouvoir continuer leurs activités illicites aussi longtemps qu’il leur sera permis d’échapper aux sanctions judiciaires.

C’est tout le système de commerce international qui se désagrège »

Si on laisse des gouvernements bafouer l’état de droit en toute impunité, c’est tout le système de commerce international qui se désagrège. C’est pourquoi les gouvernements, les régulateurs et les acteurs du sport et de l’audiovisuel commencent à s’intéresser à beoutQ. Chacun perçoit clairement le risque pour sa filière. Il reste beaucoup à faire, et rapidement, car cette opération de piratage massif, la plus importante que le secteur ait jamais connu, continue de se développer en tout impunité.   

  • La Supercoupe d’Italie a été organisée en Arabie Saoudite (Juventus - AC Milan, 1-0) le 16/01/2019. beIN a fait part, comme d’autres acteurs, de sa désapprobation auprès de la Lega Serie A « Lega nazionale professionisti di Serie A », Ligue professionnelle qui gère la 1ère division italienne et réunit ses 20 clubs. . Quelle a été la réaction de la Ligue italienne ?

L’organisation de la Supercoupe d’Italie en Arabie Saoudite a fait l’objet d’une importante vague de désapprobation : le vice-Premier ministre italien en exercice, l’ancien ministre des Sports italien, Amnesty International, des groupes de défense des droits des femmes, des associations de journalistes, ou tout simplement des fans de sport bien informés, tous ont demandé que la Lega Serie A « Lega nazionale professionisti di Serie A », Ligue professionnelle qui gère la 1ère division italienne et réunit ses 20 clubs. reconsidère le lieu du match.

Invraisemblable que la Ligue Italienne organise la Supercoupe d’Italie en Arabie Saoudite »

Au-delà des objections légitimes évoquées par ces groupes, il nous est apparu invraisemblable que la Ligue Italienne organise ce match en Arabie Saoudite, alors même que les autorités de ce pays soutiennent activement le piratage de contenus sportifs et audiovisuels, au nombre desquels figurent les matches de Serie A. Parmi tous les pays qu’ils auraient pu choisir pour accueillir ce match, ils ont choisi le seul pays dont les autorités facilitent le vol des contenus leur appartenant.

  • Est-ce que ce type de décisions -programmer un match officiel en Arabie Saoudite- amène beIN à reconsidérer ses futurs partenariats de diffusion avec les ayants droit ? Vous n’avez pas renouvelé vos droits sur la Formule 1 sur les territoires MENA Middle East and North Africa / Moyen-Orient et Afrique du Nord . Avez-vous tenu compte de leur position vis-à-vis du piratage ?

Nous accordons évidemment une importance particulière à l’attitude adoptée par les ayants droit vis-à-vis du piratage de leurs contenus et du vol de leur propriété intellectuelle. Il est évident que nous ne pouvons accepter aucune passivité des ayants droit sur ce point, et que leur engagement à protéger l’exclusivité qui nous est vendue, par des mesures concrètes de nature juridique ou autre, est pris en considération au moment d’enchérir ou de renouveler nos droits.

• beIN MENA a décidé de ne pas prolonger ses droits de diffusion de la Formule 1 à l’issue de la saison 2019. beIN MENA paye un montant estimé entre 30 et 40 millions de dollars (entre 27 et 36 M€) par an pour ces droits, soit près de 7 % du montant global des droits audiovisuels de la F1, selon le cabinet d’études britannique Ampere Analysis.

• « Le positionnement des ayants droit envers le piratage de beoutQ (entité pirate saoudienne) - qu’il s’agisse d’une action en justice, d’une prise de position publique ou de tout ce qui est en leur pouvoir pour lutter contre le vol industriel de leurs droits - est un facteur crucial pour lequel nous sommes maintenant obligés de tenir compte quand nous faisons des enchères (sur les appels d’offres). Nous payons des sommes énormes pour les droits médias, mais le piratage saoudien a pour conséquence naturelle de ne pas protéger ces droits. Nous paierons donc moins pour ces droits à l’avenir - en particulier pour les ayants droit qui ne font que parler sans agir dans le combat contre beoutQ.

• Depuis près de deux ans maintenant, nous avertissons des conséquences commerciales du vol des droits sportifs et de divertissement dans le monde par beoutQ. Pourtant, le piratage se poursuit chaque jour dans l’impunité et représente une menace existentielle pour le modèle économique du secteur du divertissement et des sports. La communauté internationale doit prendre des mesures décisives pour mettre un terme immédiat à ce piratage soutenu par un État (l’Arabie Saoudite) »

Tom Keaveny, directeur général de beIN MENA, le 08/02/2019

  • De manière générale, est-ce que vous vous sentez soutenus par les détenteurs de droits et les associations de l’industrie dans la lutte contre le piratage ?
Nous sommes encore loin d’une solution  »

De nombreux ayants droit et acteurs de l’industrie des médias se sont associés à beIN Media Group dans cette lutte et dans la dénonciation du piratage beoutQ : la FIFA Fédération Internationale de Football Association , l’UEFA Union des Associations Européennes de Football , l’ensemble des ligues européennes de football et d’autres ont condamné publiquement les agissements de beoutQ, et nombreux sont ceux qui intentent des procédures judiciaires en Arabie Saoudite. Mais nous sommes encore loin d’une solution au problème, car beoutQ existe avec le soutien et la protection des autorités saoudiennes.

Des milliers de contenus, sports, films et séries volés chaque jour »

Les détenteurs de droits ont un rôle déterminant à jouer, tout comme l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, ainsi que les régulateurs dont ils dépendent. Ce qui se passe en Arabie Saoudite est consternant : le fait qu’un opérateur satellitaire et un État soutiennent un réseau pirate est proprement inacceptable. Ce sont des milliers de contenus, sports, films et séries de première exclusivité, chaînes payantes et gratuites du monde entier, qui sont volés chaque jour par beoutQ diffusé par satellite et par IPTV. C’est un sujet qui doit être adressé par toutes les organisations impactées, afin de préserver la valeur de nos droits respectifs, et l’écosystème du sport et des contenus audiovisuels.

Sophie Jordan


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Département juridique

Fiche n° 2511, créée le 06/03/2014 à 15:31 - MàJ le 19/11/2019 à 14:17

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